« Dans les années soixante et soixante-dix, j’ai souvent mis le noir en relation avec de l’ocre et surtout du bleu. Le rapprochement d’un noir et d’un bleu m’a toujours paru quelque chose de très sensuel… », dit Pierre Soulages à Françoise Jaunin dans ses entretiens publiés à La Bibliothèque des Arts (Lausanne, 2014). Pour l’affiche de la 22ème édition du Printemps des Poètes, Sophie Nauleau a sollicité le peintre qui fêtait son centenaire en décembre 2019 et exposait au Louvre, jusqu’au 9 mars 2020, une sélection de toiles représentant les huit décennies pendant lesquelles il a développé ses recherches.
« Une œuvre d’art est d’abord et fondamentalement une expérience poétique », affirme Pierre Soulages qui a choisi, pour le Printemps des poètes, une peinture de 1967 où la gravité du noir côtoie et éclaire un bleu profond. À cette époque, la couleur qui contient en elle toutes les autres n’a pas encore envahi l’espace pictural : l’« Outrenoir » se substituera au « Noir-lumière » à partir de 1979. L’abstraction de l’œuvre et sa frontalité conviennent au thème de cette année : « Le Courage », qui aujourd’hui, a une résonance particulière. Il succède à « La Beauté » (affiche d’Enki Bilal) et à « L’Ardeur » (affiche d’Ernest Pignon-Ernest). Pour cet événement et son emblème, Sophie Nauleau, qui est aussi l’auteur d’Espère en ton courage (Actes Sud, février 2020), a fait appel à Sandrine Bonnaire. L’actrice et réalisatrice, marraine de l'édition 2020, a mené, au côté des musiciens Erik Truffaz, Alice Botté, Marcello Giulani, Dominique Mahut, Pedro Soler, Gaspar Claus et avec le comédien Denis Lavant, le spectacle d’ouverture le 10 mars au Bataclan. Elle a lu, en accord avec la musique, des textes de Joël Bastard, Louis Aragon, Boris Vian, Assia Djaber, Jacques Higelin, Claro… Sa voix entrait en résonance avec le son des instruments.
Sandrine Bonnaire a publié avec Tiffy Morgue et Jean-Yves Gaillac, un recueil de Conversations sous le titre, Le Soleil me trace la route. Il raconte le parcours d’une vie, la sienne, de la petite enfance à 2009, date de la publication du livre. Dans ces entretiens, l’idée de « courage » est récurrente. Comment penser cette notion, loin d’une image de la posture héroïque ? « Il y a des peurs que l’on dépasse grâce à un rôle, il sert à nous booster, à dire oui à des audaces pour être un personnage devant une caméra », dit Sandrine Bonnaire à propos du tournage de Jeanne La Pucelle, film réalisé en deux parties par Jacques Rivette, sorti en 1994, qui retrace l'épopée de Jeanne d'Arc. « Avec Rivette, nous avons préféré nous intéresser à la femme libre et courageuse ». « Mes références vont toujours vers l’humain, que l’on soit actrice, spectateur ou même Jeanne d’Arc, nous partageons tous les mêmes sensations primaires, comme la peur de souffrir et de mourir », dit-elle encore. Dans un téléfilm de François Luciani, – inspiré du procès de Bobigny (1972) qui s’est transformé en événement national à l’initiative de l’avocate Gisèle Halimi pour dénoncer l’injustice faite aux femmes (deux ans plus tard, la loi Veil, dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse, était votée), – Sandrine Bonnaire a trouvé « important de saluer le courage de toutes ces militantes dans leur combat pour obtenir la légalisation de l’avortement ». Le courage, comme une fidélité à soi-même. Lorsqu’en 1989, Raymond Depardon propose à l’actrice de vivre trois mois de tournage dans le désert saharien, il lui a fallu faire preuve de patience, de ténacité, de courage aussi. Elle était coupée de tout repère, éprouvant la solitude et le silence, comme son personnage. Depardon évoquait dans son film, (La Captive du désert), la captivité de l’archéologue Françoise Claustre enlevée par des nomades Toubous dans le Nord du Tchad, de 1974 à 1977. Au commentaire de ses interlocuteurs sur l’attente et les menues occupations de son personnage pour se distraire, Sandrine Bonnaire répondait : « J’ai pensé que dans cette attente interminable, les jours où le courage est là, on essaie concrètement de tuer le temps. Alors je me suis souvenue de mon fil rouge : jouer avec ce que j’ai. Sous ma hutte, j’ouvre à nouveau mon petit sac dans lequel chaque objet fait surgir des souvenirs. Je ne les garde pas en main trop longtemps parce qu’ils me rendent triste. Je parcours pour la cinquantième fois mon agenda en récitant les numéros de téléphone. Je dessine sur le coin d’une page si j’ai la chance d’avoir encore un crayon. Juste un petit dessin, parce qu’il faut garder du papier pour plus tard. Oui, chaque geste prend des proportions énormes. »
On sait que la poésie, et la littérature en général, est très présente dans la vie de Sandrine Bonnaire. Elle dit avoir découvert de nombreux auteurs grâce à Bernard Sobel. Fondateur dans les années soixante du Théâtre de Gennevilliers, il a mis en scène plusieurs textes de Bertolt Brecht, et notamment La Bonne Âme de Setchouan en 1990, avec elle dans le rôle de Shen Té. Aussi, le lien entre littérature et cinéma est manifeste dans sa filmographie, quand on pense à ses rôles dans Un cœur simple (la première nouvelle des Trois contes de Flaubert) réalisé par Marion Laine ou dans Voir le jour de Marion Laine également, adapté d’un roman contemporain, Chambre 2 de Julie Bonnie, dont la sortie est prévue (espérée) le 22 avril 2020…
NATHALIE JUNGERMAN
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